Après un an de présidence, l’ultralibéral argentin Javier Milei se targue de planètes qui s’alignent, avec une inflation ralentie, une conflictualité sociale contenue, un appui populaire stable. Mais une inconnue majeure subsiste: qui de l’impact social ou de la reprise économique détonera en premier?
Inflation freinée
Elle reste une des plus élevées au monde, à 193% d’une année à l’autre en octobre. Mais à coups de «tronçonneuse» dans les comptes publics, d’émission monétaire asséchée, de subventions taries, l’inflation a été endiguée, se situant maintenant plutôt entre 3% et 4% d’un mois à l’autre (2,7% en octobre), contre 17% en moyenne l’an dernier.
Les Argentins ne vont plus à l’épicerie avec la hantise d’étiquettes bondissant d’une semaine sur l’autre.
«C’est un mieux important en termes psychologiques, d’attentes de la vie quotidienne. Si l’on compare fin 2023 à fin 2024, […] il y a là une réussite fondamentale», tranche Gabriel Vommaro, politologue de l’Université San Martin.
Incertitude domptée
Un contrôle des changes maintenu, mais un peso stabilisé au change parallèle, un risque-pays au plus bas depuis 5ans… et «des banques qui refont crédit, analysent les projets. Ce qui a changé est ce qui manquait: la stabilité, la capacité de planifier dans le temps», estime Alejandro Reca, p.-d.g. d’une entreprise de dulce de leche (confiture de lait, produit emblématique).
«On est optimistes, en train de réactiver des investissements qu’on freinait», assure-t-il.
Reprise, alors?
La récession (-3,5% prévu fin 2024) «est déjà finie et le pays recommence à croître», martèle le président Milei.
Quelques voyants, comme l’activité industrielle et les ventes de détail, sont timidement au vert depuis peu. Mais rien qui n’ait rattrapé la chute depuis un an.
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À deux vitesses
Javier Milei se vante de réaliser «le plus grand ajustement [budgétaire] de l’histoire de l’humanité». Et d’avoir fait payer l’austérité à «la caste et associés», terme désignant aussi bien l’establishment, l’État, que tout adversaire.
Pour l’heure, ceux qui ont surtout payé, ce sont les près de 180000 emplois perdus, dont 33000 dans le public, selon des chiffres officiels, ainsi que les millions d’usagers des transports, par l’explosion du prix avec la fin de subventions: de 110 à 757 pesos (0,15 à 1,05$CA) pour un ticket de métro en un an. Ou encore les 52% de pauvres. Un chiffre daté, conteste l’exécutif.
«Les gagnants sont le secteur primaire, mine, pétrole, à un certain degré agriculture et le secteur financier», diagnostique M.Vommaro. «Les perdants: secteur public, santé, éducation, science, les retraités […] et le commerce avec la chute de la consommation.»
«Le coût socio-économique a été énorme […] la question clé est de savoir si les coûts seront temporaires ou durables», ajoute-t-il.
Personne en face
Un an après sa défaite sèche et imprévue (56%-44%) face à l’outsider «anti-système» Javier Milei, l’opposition péroniste (centre gauche) paraît encore traumatisée, incapable à ce jour de formuler une contre-proposition d’avenir.
Au contraire, elle se (re) donne pour figure de proue, à la tête du parti péroniste, Cristina Kirchner, 71ans, présidente de 2007 à 2015, vice-présidente de 2019 à 2023, figure dominante depuis 20ans, mais éminemment clivante.
Même atonie des syndicats, qui hormis deux grèves générales (en janvier et en mai), peinent, ou hésitent, à mobiliser en masse.
Le tout face à un président dont les sondages, têtus, montrent un soutien constant — autour de 45%, voire près de 50%, selon certains récents.
Le ciel t’aidera
Les «Forces du ciel» que Milei invoque à ses moments messianiques, le ciel en tout cas, semble lui sourire.
Après la sécheresse historique de 2022-2023, qui avait privé l’Argentine, agro-exportatrice par excellence, de quelque 20milliards $US de recettes (28milliards $CA), la première «récolte Milei» pourrait figurer parmi les meilleures de l’histoire, selon le secteur. Une manne pour un pays en manque de réserves de change.
L’extérieur aussi?
Le Fonds monétaire international (FMI), auquel l’Argentine rembourse un prêt massif de 44milliards $US (62milliards $CA), a revu en octobre ses conditions d’emprunt, avec une forte baisse des charges d’intérêts.
Bénédiction pour un pays chroniquement endetté, dont les gouvernements réclamaient ce geste depuis des années.
Enfin, la réélection de Donald Trump dote Milei d’un allié de poids. Même si les conséquences réelles de cette «affinité» interrogent «la capacité de Milei à traduire un alignement en traitement différencié» privilégié, résume Mariano Machado, analyste Amériques au cabinet Maplecrot.
Gain d’influence auprès du FMI? Ou simple «correspondant en Argentine» de l’internationale ultraconservatrice (comme le raillent des médias) nullement à l’abri d’un regain de protectionnisme américain?